Tice : déficit chronique mnésique
Alain Chaptal est ingénieur diplômé de Télécom ParisTech et docteur de l'Université Paris X en sciences de l'information et de la communication.
Ses recherches concernent l’analyse critique des approches françaises et anglo-saxonnes (américaine et anglaise) en matière de technologies d’information et de communication pour l’enseignement et singulièrement de la question de leur efficacité à laquelle il a consacré sa thèse de doctorat.
Acteur et observateur des pratiques, il réagit à l'annonce du plan numérique, dans cet article à paraître dans le numéro 35 de la Gazette de Lurs.
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Que ressent un chercheur en écoutant le Président de la République annoncer à la télévision un plan numérique censé résoudre les problèmes de l’école ? Un étonnement certain devant la candeur du propos et beaucoup de lassitude devant le caractère ritualisé et répétitif de celui-ci, ignorant les leçons du passé.
Depuis plus de trente ans, les soi-disant plans se succèdent, la plupart du temps sans moyens véritables. Qui s’en souvient ? L’initiative vient toujours d’en haut, sans concertation avec les acteurs, sans tirer les leçons de la recherche ni analyser les précédents. Les mêmes arguments sont recyclés pour justifier la généralisation de [l’informatique - Internet - les PC portables - les ENT - les TBI - les tablettes, rayez les mentions obsolètes] : doter les élèves des compétences du [20ème/21ème siècle] et préparer la compétitivité future du pays.
Le phénomène n’est ni nouveau ni français. Un chercheur américain, Larry Cuban, l’a théorisé dès 1986 sous le nom de "romance inconstante". Tout commence par des enseignants expérimentant une nouvelle technologie, suscitant l’intérêt des médias. Les politiques s’emparent de l’idée d’autant plus que des gourous annoncent la révolution pédagogique. Les premiers usages ne sont naturellement pas à la hauteur de leurs prédictions déraisonnables. La déception s’installe et, peu à peu, le nouveau dispositif miracle s’enfonce dans l’oubli (au mieux, il devient un outil parmi d’autres dans la panoplie de l’enseignant). In fine, on stigmatise le conservatisme supposé d’enseignants décidemment rétifs à la modernité. 1986 ? Pas une ride.
Le numérique ne constitue pas une potion magique, transformant par sa seule vertu l’éducation. Depuis trente ans, les ordinateurs se sont banalisés dans les établissements sans que les pratiques en soient bouleversées, ni les résultats scolaires améliorés. Mais l’appropriation progressive de ces outils par les enseignants, à leur rythme, débouchant sur des enrichissements significatifs de leurs cours, n’est pas un résultat négligeable. Le système finlandais, qui fait rêver nos leaders d’opinion qui s’alarment des résultats de PISA, s’en contente, lui qui repose aussi sur des cours somme toute assez classiques et ne revendique aucun statut particulier pour les TICE, simples outils à disposition.
Qu’on ne se méprenne pas. Le numérique en réseau concerne désormais tous les aspects de la vie sociale, professionnelle ou privée. Comment l’école pourrait-elle l’ignorer ? Il s’agit d’un enjeu de citoyenneté et l’école doit de plus s’efforcer de corriger les inégalités en matière de culture numérique. Quand prendra-t-elle les TICE au sérieux ? Plus que des plans annoncés triomphalement, c’est d’une approche globale dans la durée, d’une politique de réglages fins, d’une mobilisation de toutes les parties prenantes (y compris l’encadrement) qui s’impose. Sans oublier le soutien aux acteurs du terrain ni la protection des traces personnelles des élèves pour éviter tout profilage problématique.
Alain Chaptal
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