Conférences

Conférence de Patrick Ben Soussan, Château-Arnoux, 9 octobre 2017   

C’est par l’explication de cette phrase choc de Donald Winnicott que Patrick Ben Soussan a ouvert sa conférence, lundi 9 octobre 2017, à la salle des fêtes de Château-Arnoux (04). Sur un ton à la fois humoristique et sérieux, il n’a cessé, tout au long de deux heures trente animées, de surprendre le public, venu écouter un prêt-à-réagir face à l’adolescent - qualifié ici de « bombe ».

Faisant tout à la fois un historique des évolutions en matière d’éducation, et un bilan de l’avancée des neurosciences, Patrick Ben Soussan a renouvelé notre position vis-à-vis de l'adolescent, dans la lignée du renouvellement de notre vision du bébé – qualifié il y a soixante ans encore de « bouche vagissante et goulue » par René Zazzo, 1955, et devenu maintenant un génie en mathématiques.
Notre position de parent s'en est trouvée redéfinie, et beaucoup d'idées généralement admises, balayées.

I Rôles du père et de la mère dans la petite enfance. Aucune échappatoire possible pour aucun des deux : un enfant, il faut s'en occuper !

Premier présupposé : l'adolescence « se prépare » largement en amont, et ce, dès la petite enfance.

Le rôle de la mère, en émerveillement devant son enfant, et devenant, par-là même, experte en ses besoins, est réhabilité. Même si l’on sait que la « violence de l’interprétation » existe, et que les mêmes pleurs peuvent être interprétés, selon la mère, comme provenant de la faim, de l’ennui, ou d’une douleur, et recevoir des réponses différentes selon l’histoire de cette dernière, il n’en reste pas moins que cette étape d’observation, à la naissance, de la mère sur son enfant - état quasi psychotique - s’avère nécessaire, et a des répercussions positives sur la construction de celui-ci.

Le rôle du père est, lui aussi, remis au premier plan. Connu déjà pour être l’élément séparateur de la fusion mère/enfant, le père cependant n’est pas « que » cet élément externe nécessaire de la trilogie. « Pères, vous ne pouvez pas vous cantonner à n’être présents que cinq minutes par jour, même intenses », précise le conférencier. Cinq minutes intenses ne répareront pas votre absence. Pères, vous n’êtes pas, non plus, à craindre pour vos garçons, comme le disait Françoise Dolto. Pères, vous ne devez pas n’intervenir ou n’être convoqués qu’à l’adolescence pour recadrer et assurer l’autorité lorsque vos gamins auront dévié.

Ce qui est intéressant, dans le discours de Patrick Ben Soussan, c’est qu’il revendique une place égale pour les deux parents. Chacun de nous, rappelle-t-il, est porteur d’une part féminine et d’une part masculine, que nous sommes invités à occuper. Chaque être humain, quel que soit son genre, est « biface ». Ainsi, une famille monoparentale organisée autour de la figure de la mère peut très bien ne pas manquer d’autorité, mais, pareillement, les pères doivent être auprès de leurs enfants et participer à leur éducation et à leurs soins quotidiens tout au long de leur enfance, et ne pas se décharger de cette responsabilité sur la mère, sous quelque prétexte que ce soit, au risque d’en avoir un lourd prix à payer, justement à l'adolescence.

Statistiques à l’appui, les hommes ne vont jamais chez le dentiste avec leur enfant, s'amuse à nous apprendre Patrick Ben Soussan. Et, les soirs de conférence, en règle générale, s'ils ne sont pas présents, c’est qu’ils gardent les enfants - la mère, plus préoccupée qu’eux par les questions d’éducation, souhaitant venir l'écouter.

II La petite enfance : l'occasion unique de « faire ensemble » pour « préparer le terrain » de l'adolescence.

Ce que déduit le pédopsychiatre de ces différentes informations, sous forme de mise en bouche, c’est que, si le conflit à l’adolescence ne peut – et ne doit pas - être évité, il pourra, par contre, prendre des proportions bien moindres si les deux parents « ont fait » des choses avec lui, pendant son enfance.

De même que l’on « fait » la Grèce, la guerre, la fête, ou l'amour, le verbe « faire », tout simplement, est employé ici pour désigner cette qualité de relation, d’interaction. On comprend, par cette simplicité linguistique, que le fondement de l'éducation ne consiste pas, pour Patrick Ben Soussan, à élever son enfant (dans le sens « d’élever vers le haut ») par la musique, les pratiques artistiques ou à le suivre et le forger de façon parfaite sur le plan scolaire. Non. L’essentiel, pour lui, est de « partager ». A la simplicité du verbe faire, on pourra rajouter la notion de « quelque chose ». Selon ses propres termes : « Faites des choses avec votre enfant, et ce, dès sa petite enfance ; vous deux, les deux parents. N’importe quoi. Mais restez avec lui. Intéressez-vous à lui, à ce qu’il fait. Même en lisant le journal à ses côtés. Levez les yeux, donnez-lui de l'importance. Montrez-lui qu'il existe. Il vous en sera reconnaissant. »

Et de rajouter, sur le ton de l’humour : « Moi aussi, j’ai connu les ponts (sous-entendu : les jours de pont du mois de mai) pendant lesquels il y avait entraînement, compétition, et encore entraînement, compétition. Moi aussi j’ai accompagné mes enfants au foot, au basket et au hand ». Nous, les femmes, pourrions dire : « Nous aussi, avons confectionné des cakes et des tartes pour les buffets de ces compétitions... »

« Même si, comme disait Freud, poursuit-il, le rêve de l’humain est d’atteindre le degré 0, l’homéostasie parfaite : faites des efforts, prenez sur vous. La planche sur la mer morte, c’est peut- être votre idéal, mais ce n’est pas celui de nos enfants. »

La question de l'autorité, à l'adolescence, trouve ainsi une résolution naturelle, une fois ce présupposé établi. Pour Patrick Ben Soussan, nuançant la pensée d’Aldo Naouri, c’est parce que vous aurez dit « trois fois oui » à votre enfant, en construisant une confiance réciproque grâce à ces moments de partage, que vous pourrez vous permettre, lorsqu'il sera dans cette période de transition qu’est l’adolescence, de lui dire « trois fois non », sans avoir peur d’en être rejeté. De même, c'est parce que des bases solides auront été créées, dans le « faire ensemble », lorsqu’il était petit, que l'adolescent, de même, pourra recevoir cette autorité, à ce moment-là, car il se saura aimé.

III La puberté : une force de vie qui cherche à s'exprimer dans une société très (trop ?) cadrée

Qu’arrive-t-il à notre enfant, à l’adolescence ? C’est ce que se demandent beaucoup de parents. Certains vont même plus loin dans leurs interrogations : est-ce culturel ? Mondial ? En tout cas, est-ce incontournable ? Y aurait-il, en quelque sorte, une mondialisation du phénomène de l’adolescence, qui n’aurait pas existé à une autre époque - comme il y a maintenant une nationalisation du phénomène de l’adulescence (ces adultes restant tardivement enfants, mangeant, dans leur canapé, des bonbons Haribo créés à leur intention) ?

Patrick Ben Soussan propose des pistes de réponse, ouvre des voies. Les anthropologues ont constaté, effectivement, que certaines civilisations échappent à ce phénomène, lorsque l'on y passe directement de l’état d’enfant à celui d’adulte, par le biais d’une épreuve, d'une initiation.

Vivant encore, comme l’enfant, des « pertes et séparations incessantes », celles-ci se trouvent accrues, à cette époque de sa vie, par la sexualité, qui arrive avec la puberté. « L’énergiemotrice de nos adolescents est toujours celle de donner la vie », rappelle le conférencier à un public quelque peu déstabilisé.

Cette puberté, ces changements radicaux dans le corps de l’adolescent, le bouleversent. Ils donnent lieu, dans certaines sociétés, à des mariages précoces, mais ne peuvent aboutir, dans la nôtre, sur de la procréation. Aussi la sexualité se détourne-t-elle, en partie, dans notre civilisation, vers la faculté de créer. Or, « il n’y pas beaucoup de place, dans cette société, pour la créativité », souligne le pédopsychiatre compatissant. « Pourtant, regardez-les, nos adolescents, comme ils écrivent, taguent, veulent s’exprimer ». Sans doute, en conclut-il, le contraste entre des individus en pleine transformation, bouillonnants de désirs et d’envie d’indépendance, et qui se heurtent à une société bridant leurs initiatives et leur créativité, crée-t-elle cette race qui nous est propre, où la difficulté d'être reconnu(e) d’égal(e) à égal(e) comme individu, et l'impossibilité - ou la difficulté - où ils se trouvent de s'exprimer, génèrent d’inévitables conflits.

Autrefois, une fois le certificat d'études obtenu, l'adolescent partait en apprentissage et gagnait sa vie – et sa liberté. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

L’apport récent des neurosciences va également dans ce sens. Alors qu’il aurait besoin d’expérimenter jusqu’à 25 ans, son cerveau reptilien se développant à plus grande vitesse ¹ , l'adolescent et le jeune adulte sont « coincés à l’école dans le cortex droit », le plus lent à se développer, « dans une société qui laisse peu de place à l’expérimentation et ne permet pas grand- chose ». Nouveau martèlement. Par ses réflexions, M. Ben Soussan semble nous donner à comprendre que notre adolescent ne peut qu’être malheureux dans la société et la scolarité telles qu'elles se trouvent organisées, ou du moins que ses difficultés sont un passage obligé, et ce, quoi que l’on fasse.

VI Face à ces bouleversements internes et à ces contraintes sociales : « limiter la casse »

Quel est alors notre rôle de parent responsable face à ce constat ? Donald Winnicott est de nouveau convoqué pour donner ce conseil : « Ce qu’il faut, c’est qu’ils puissent survivre intacts. »

Les mots de Patrick Ben Soussan se font de plus en plus inquiétants mais, à l'opposé, de plus en plus modestes en ce qui concerne notre rôle de parents. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait « le moins de casse possible. » Nous ne sommes plus appelé(e)s à de grandes ambitions ; notre rôle n’est plus même d’être des good enough mothers au sens de mères suffisamment bonnes, mais de n’être - et ce serait déjà bien – que des mères, des parents, « tout juste convenables ». Sa formulation se fait volontairement choquante : « Et l’enfant s’en débrouillera toujours ».

L’adolescence est une souffrance, scande-t-il, en quelque sorte. L’admettre est déjà, de notre part, un grand pas. Car ce n’est pas la même chose que de réagir face à un adolescent en hypothéquant qu'il est, de façon volontaire, dans la distance et le conflit, ou d'envisager qu’il puisse développer ces attitudes comme une réponse désespérée et inconsciente à des états qu’il ne maîtrise pas, à des combats intérieurs dont les mobiles et les clefs lui échappent.

V Veillons et, surtout, restons bien-veillant

Patrick Ben Soussan, in fine, accorde la primauté, dans toute éducation, à la notion de « bienveillance ». Comme nous ne pouvons prévoir, à l’avance, la réception qu'aura telle ou telle de nos actions, telle ou telle de nos réponses face aux demandes de nos enfants/adolescents (« Faites, faites, madame, disait Freud, de toute façon, ce sera mal fait »), alors, autant partir modestes mais mus par la prise de conscience - terrible pour nous, mais rassurante pour notre enfant (en ce sens qu’il n’aura pas, face à lui, de mur trop inaccessible) - que nous aussi, adultes, sommes faillibles.

Ne nous donnons pas des ambitions éducatives trop hautes ou trop rigides qui pourraient nous culpabiliser en cas de difficulté à les tenir, dans nos vies déjà surchargées. Ne confions pas, non plus, à nos enfants, des idéaux de perfection dont ils ne pourront pas se sortir indemnes. Face à l’imprévisibilité de la vie, du vécu de notre enfant, du nôtre, il convient de modestie garder. Parents, nous sommes le fruit d’une histoire, mais nos enfants aussi, sont le fruit d’une histoire : la nôtre, en partie, mais également la leur, que nous ne connaissons pas entièrement. Notre marge de manœuvre sur eux n’est donc pas toujours prévisible ; en tout cas, pas aussi importante que ce que nous croyons.

La tolérance envers les erreurs de nos enfants, mais aussi envers les nôtres, c’est ce à quoi nous invite le pédopsychiatre. Il nous rassure sur nos relations parents/enfants, que nous craignons tous, à un moment donné, de voir s’altérer. De toute façon, affirme-t-il, « la vie repasse toujours les plats ». Nous aurons, d’après lui, si nous nous sommes trompés - pourvu que nous soyons toujours à l’écoute - « des occasions de nous rattraper » et ce, jusqu’au bout de notre vie, jusqu’au tout dernier instant. Nous sommes bien, là, loin de ce « prêt-à-réagir » qu’attendait le public. Toute modestie garder...

Pour conclure...

Au cours de cet exposé et de ces échanges, c’est toute notre vie avec notre enfant qui a été repensée, analysée. De son premier cri à notre dernier souffle, si les liens que nous tissons avec lui dépendent, certes, en partie de nous, nous ne sommes cependant pas tout-puissants.

Alors, aimons-les, faisons des choses avec eux pour qu’ils se sentent aimés. Ils accepteront d'autant mieux notre autorité à ce moment crucial de leur existence. Sachons, lorsque ce temps arrivera, avoir de la compréhension pour leurs combats intérieurs, dont ils se « tirent » comme ils peuvent. Conservons-leur, dans la mesure de nos possibilités, un espace de liberté où ils pourront, en toute sécurité, s'exprimer et expérimenter.

Et aimons-nous, entre nous, conjoints, ne négligeons pas cette part essentielle de nous- mêmes, qui leur apportera, elle aussi, la sécurité. Comme le disait Françoise Dolto, (Patrick Ben Soussan conclura sur cette notion de vie personnelle), la place de l’enfant est d’être « à proximité de papa et maman ». Ne surinvestissons pas nos enfants et adolescents, ne négligeons pas notre propre vie. Pour qu’il soit équilibré, ce qu’il leur faut, c’est également « l’amour que se portent papa et maman », selon une autre formulation de Françoise Dolto.

Patrick Ben Soussan quittera « la scène » par ces mots : « Rentrez chez vous, occupez-vous de vos enfants. Et de vos maris et femmes, de façon accessoire ».

Dernière ironie, dernier clin d'œil d'un conférencier hors pair venu nous faire réfléchir.

Séverine BERAUD

NOTES
¹ Le cerveau reptilien (arrière du crâne) se développe à plus grande vitesse que le cortex frontal. Siège des émotions et des pulsions, il est aussi le lieu de l’expérimentation. Toucher un appareil nouveau en apprendra ainsi beaucoup plus à l'adolescent sur son fonctionnement que, ce qui est notre démarche d’adultes, d’en lire le mode d’emploi.